ESPOIR

On n’aurait jamais cru qu’il ait plu autant ces trois derniers jours. Certes, il y avait quelques interruptions mais elles paraissaient si insignifiantes comparées à la durer de ce déluge. Cet après-midi, le temps était des plus magnifique. Il fit si chaud ce matin que c’est à peine s’il restait des traces de cette dépression survenu aussi brusquement qu’elle prit fin.

La nature oscillait devant ses yeux, passant d’un ciel bleu azur, qu’un peintre aurait barbouillé de quelques tâches d’un blanc immaculé… Juste question de donner une touche artistique… A une herbe tendre verdoyante où se dressait de admirables chênes mélangés à certains châtaigniers. Il ne se lasserait jamais de ce balancement. Ca l’enivrait. Chaque fois qu’il relevait la tête, un sentiment de fierté l’envahissait… Celle d’être sous la coupole et la protection du plus grand et plus impressionnant chêne de la région. Il le considérait parfois comme un ami, un confident, mais plus souvent comme un grand frère sur qui il pouvait s’appuyer en cas de coup dur. Il l’avait baptisé CHEYENNE, car chaque fois qu’il l’observait cela lui faisait penser aux paysages enchanteurs et gargantuesques qu’il découvrait si souvent dans les westerns à la télé. Des décors souvent désertiques mais évoquant une certaine tranquillité et liberté.

Cheyenne est le Roi de cette contrée, un chef régnant et protégeant ses sujets du sommet de son trône, représenté par cette colline dont le versant donnant sur son village paraissait particulièrement abrupt.

Donnant un coup de talon à terre, il accéléra ce mouvement de balancement, permettant à sa balançoire de le propulser plus haut… Toujours plus haut vers le ciel, lui donnant l’impression de planer, de voler durant quelques brèves secondes. Il se rappelle encore comment ses camarades de classe et ses propres soit disant copains se moquaient de lui. En y réfléchissant bien, ils continuent de rire dans son dos… Mais il ne prêtait guère attention à tout cela.

Un gland tomba sur son épaule droite suivit d’… Une rafale de vent s’engouffra dans ses cheveux noirs crépus coupés au carré, les faisant à peine vibrer. Tout en se balançant, il s’allongea presque à l’horizontale en se tenant solidement aux cordes de la balançoire. Souriant, il observait le tronc de Cheyenne, s’étendant à perte de vue dans la noirceur de son feuillage, envoyant de solides branches dans les quatre coins cardinaux. Le soleil filtrant entre les feuilles lui donnait un aspect surnaturel et enchanteur.

_ C’est vrai ? demanda-t-il d’une voix juvénile, d’un enfant d’une dizaine d’années comme si une personne lui avait adressé la parole.

Il avait des yeux particuliers, d’une couleur noisette. Mais en les observant attentivement, on pouvait y découvrir une multitude de pépites d’or ressemblant à un ciel étoilé.
Cheyenne lui avait révélé un jour qu’il était différent des autres à cause de ses yeux. Il était né avec des yeux crépusculaires.

Il n’avait absolument rien compris par ce qu’il voulait dire par là, mais Cheyenne lui répondit uniquement d’être patient… Il verrait.
Il jubilait au plus profond de lui-même, non parce que son ami venait de prononcer son prénom : Stephen pour la première fois mais du fait qu’il lui annonçait la visite de quelqu’un comme lui. Il avait énormément de mal à en croire ses oreilles, mais il pouvait faire confiance à la parole de son ami concernant sa sincérité.

_ Je pensais être le seul à pouvoir t’entendre, ajouta Stephen en s’asseyant normalement et en se balançant de nouveau.

L’herbe, les arbustes et la robe de Cheyenne bruissaient sous l’effet du vent, donnant naissance à une mélodie à peine audible.

Natif de la Martinique, Une île située à environ huit mille kilomètres de l’Ouest de la France, Stephen avait le teint de peau « Café au lait » comme le disait si bien ses camarades de classe, ainsi qu’un léger accent typique de son lieu de naissance qui le rendait populaire au près des filles de son âge.

_ Dans mon pays j’avais comme ami un Fromager, mais là aussi personne ne l’entendait à part moi. Son nom comme le tien était imprononçable dans ma langue… Alors je l’ais appelé RYA. Dans un roman, Rya était la déesse de la nature- une sorte de Mère nature.

_ Deux ans, mais nous avons déménagé ensuite pour venir vivre en France. Je ne pouvais malheureusement pas prendre Rya mais elle me dit que même si l’océan nous séparait, nous serions amené à nous revoir. Et puis, mes parents ne m’ont pas vraiment laissé le choix.

Les branches de Cheyenne émirent un gémissement provoquant une chute de glands qui terminèrent leur ascension sur la tête de l’enfant. Celui-ci posa aussitôt ses pieds à terre pour se protéger.

_ Il faut toujours respecter le choix des parents même si des fois il te semble incompréhensible. Ils agissent toujours pour ton bien jusqu’à ce que tu sois en âge de raisonner par toi-même.

Stephen sursauta à la première note mélodieuse de cette voix. Il se leva gauchement, faisant face à cette voix inconnue. Il eut l’impression de se déplacer au ralenti.

_ Waouh ! Pensa-t-il. Il plaça une main au dessus de ses yeux pour les protéger de l’éblouissement du soleil afin de mieux contempler cette apparition.
_ Une indienne, vrai de vrai ! S’exclama Stephen, se rendant compte trop tard qu’il s’exprimait à voix haute. Euh… Excuses-moi si je t’ais…
_ T’excusez de quoi ! Je suis vraiment indienne et je n’ais aucune honte à le montrer.

L’intonation de sa douce voix changea un chouïa. Stephen s’en voulu à mort de l’avoir froissé. A vue d’œil, il lui donnait environ quatorze ou quinze ans. Ce qui le frappa dès le premier coup d’œil, ce fut sa beauté. Les traits de son visage étaient fins, ses sourcils se discrets qu’on aurait pu croire qu’elle les épilait, ses yeux d’un noir profond donnait l’impression de voir à travers votre âme tout en exprimant une grande compassion envers le monde. Ses lèvres fines, d’un rose pâle se resserrèrent… Lui donnant un aspect boudeur (mauvais signe) sans pour autant déteindre de sa beauté. Ses cheveux lisses d’un noir soyeux et luisants descendaient en cascade le long de ses omoplates à part deux nattes, striées d’un ruban rouge, reposant en partie sur ses seins. Une robe en daim sans manche se terminant par des franges la mettait en valeur. Elle lui arrivait aux genoux et était fendu sur les côtés le long de ses cuisses.

_ Ne prends pas mal ce que je viens de dire, c’est que… Dit-il en s’interrompant brusquement.

Oh la vache ! Ferme la mon vieux, tu t’enfonce de plus en plus.
Son doux visage s’obscurcissait progressivement. Elle avança vers moi en un déplacement si rapide et si silencieux que j’eus l’impression qu’elle glissait, et non courrait sur l’herbe. Une fraction de seconde lui suffit pour qu’un bon mètre nous sépare l’un de l’autre.

_ Je vais m’en prendre une et je ne l’aurais pas volé, pensa-t-il en s’attendant au pire.

Mais au lieu de lui donner une gifle en bonne et due forme comme il le pensait, elle lui tendit sa main droite qu’il regarda un long moment avant de l’observer droit dans les yeux. Son visage s’était de nouveau éclaircit et un grand sourire lui était adressé.

_ Moi c’est Shallya. Enchanté de faire ta connaissance…
_ Stephen, je m’appelle… Stephen.

Ils se serrèrent la main, une poignée de main amicale et chaleureuse. Elle se mit à rire, pas un rire grossier ou moqueur mais d’un rire sympathique.

_ Si tu voyais ta tête… On dirait le Coyote juste après une explosion. Et elle rie de plus belle.

Excuses-moi, mais… C’est plus fort que moi… Je te faisais marché… tout à l’heure.
Un fou rire s’était emparé d’elle. Elle ne parvenait plus à rester debout et s’effondra finalement sur l’herbe en se tenant les côtes. Elle en avait les larmes aux yeux.
Lorsque je compris qu’elle faisait allusion au dessin animé de Bip-bip et le Coyote, je ne pus m’empêcher de rire à mon tour puis arrêta toute expression de joie pour prendre un air des plus sérieux.

_ Ce n’est pas drôle de te moquer de la couleur de ma peau.

Elle s’arrêta difficilement, mais parvint à transformer son visage rieur en un air plus posé quand elle se rendit compte de la gravité de la chose.

_ Je ne voulais pas…
_ Peut-être, mais tu l’as comme même fait.

Nous nous observâmes dans le blanc des yeux durant quelques secondes, j’aurais bien voulu un peu plus longtemps, mais c’était au dessus de mes forces. Je me mis à rire aussi fort qu’elle.

_ Egalité, dis-je en m’écroulant à mon tour.
Elle était vraiment trop belle. Nous étions comme deux enfants ayant perdu la raison, mais j’avoue que cette première rencontre fut à jamais ancrée dans ma mémoire. Nous rions comme des fous sous le regard amusé de Cheyenne.
M’asseyant sur l’une des racines de mon ami, je l’observais faire de la balançoire.

_ Les garçons ne sont pas censé jouer à la balançoire.
_ C’est ce que pense les autres, mais pour moi c’est un moyen de m’évader avec Cheyenne.
_ Cheyenne ? Répondit-elle en freinant totalement son balancement.
_ Oui, Cheyenne, notre Ami, acquiesçais-je en tendant les bras vers mon ami le grand chêne.

Elle éleva les yeux vers lui et lui sourit.

_ Il m’a dit que tu idolâtres ma race, mais je ne voulais pas le croire. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ais enfin accepter de te rencontrer. A l’entendre, elle et Cheyenne se connaissaient depuis pas mal de temps. Nous discutâmes durant tout le reste de l'après-midi et c’est ainsi que j’appris qu’ils s’étaient rencontrés depuis sept mois. Ca faisait un peu plus de trois ans qu’il s’était adressé à moi. Je me rendis vite compte que le lien qui m’unissait à mon chêne était tout autre que celui de Shallya.

_ Je tiens ce don de mon arrière grand-mère. Que Gitche Manitou veille sur elle.
_ Tu communiques avec n’importe quel végétal, ça c’est fort, fis-je très impressionné.
_ Pour peu que le regard des autres ne te gêne pas, répondit Shallya en baissant la tête.

Elle était assise à côté de moi sur une racine. Dix-huit heure passé, le soleil ne se couchait pas avant vint et une heure trente. Le vent se leva faisant virevolter les cheveux de Shallya.

_ Il ne faut pas se soucier du regard des autres, ils ne sont là que pour t’empêcher d’avancer dans la vie, lui dis-je en la regardant droit dans les yeux.
_ C’est le premier conseil que m’a donné Brise le vent et j’essaie de l’appliquer autant que je le peux.
_ Brise le vent ?
_ Oui, Brise le vent notre ami, fit-elle en m’imitant à merveille. Le vent n’a aucune emprise sur lui. Pour peu qu’il n’aurait pas de racine, je suis sûr qu’il serait capable de le chevaucher. _ Et toi ? Ajouta-t-elle en se levant pour marcher un peu. Pourquoi l’avoir appeler Cheyenne ?

Je lui parlai du profond respect que j’ais envers les Indiens, de la liberté et de la tranquillité qu’ils m’inspirent. De leur respect pour leur environnement. Elle semblait subjuguée de m’entendre parler de la sorte. Je pense que c’est de cet échange qu’est né cette profonde complicité qui nous unit encore aujourd’hui. Tout comme moi, elle possédait le regard crépusculaire sauf que le sien était beaucoup plus évolué que le mien à l’époque. Shallya fut mon mentor durant de longues années jusqu’au jour où elle n’eut plus rien à m’apprendre.

Treize ans après notre première rencontre, je l’invitais à me rejoindre un après-midi au jardin des plantes pour lui demander sa main. Une journée enchanteresse ou les plantes, fleurs, arbustes et arbres chantonnèrent à l’unisson. Le vent dansant autour de nous bénissa cette union avec un petit crachin et un voile de feuilles et de pétales multicolores. Un visiteur nous prit en photo au centre de ce phénomène inexplicable à ses yeux. Il nous donna ses coordonnées et prit les notre afin de nous donner un exemplaire des photos une fois développées. Sur les photos qu’il nous remis, on nous voyait en train de nous étreindre et nous embrasser d’un baiser passionné. Shallya pleurait. Chaque plante dégageait une aura différente sur la photo. Le vent, lui-même visible, était teinté d’une lueur bleutée éclatante.

Marc crut difficilement ce que représentaient les cinq photos qu’il avait prit de nous, mais il du se faire une raison. De tous les clichés concernant le jardin des plantes, seul les notre avaient cette particularité. Nous fîmes de lui notre photographe attitré pour notre mariage et notre témoin. Je ne vis jamais un homme aussi heureux de nous prendre de nouveau en photo. Une longue amitié naquit de cet événement. Nous nous voyons assez souvent et figurez-vous que Monsieur est devenu un professionnel dans les photos qui touche de près à la nature. Il ne communique pas avec elle, mais sait la respecter. Deux ans avant notre mariage, nous avons ouvert un magasin de plantes et fleurs qui je l’avoue ne cesse d’attirer une nouvelle clientèle. Nous passâmes notre lune de miel en Amérique où nous rendîmes visite aux grands-parents de Shallya, vivant dans un ranch en Arizona. J’étais aux anges, je venais d’épouser la femme de mes rêves et je réalisais dans le mois mon plus grand rêve. Voir de mes propres yeux le Grand Canyon.

Vivant en France, nous rendons souvent visite à Cheyenne ou Brise le vent, comme vous le sentez, et au moins une fois l’année, je vais me ressourcer avec Shallya sur mon île la Martinique où je revois durant un long mois ma Rya sans compter tous nos nouveaux amis que nous voyons en Amérique tous les deux ans et au cours de nos divers voyages autour du monde.

Nous faisons de nouvelles connaissances qui devienne à leur tour de bons amis qui comme Marc ont appris à vivre en harmonie avec la nature. Je n’ais toujours pas vu ce que Cheyenne à voulu me faire comprendre dans ma jeunesse, mais j’en ais une vague idée. Il suffit de voir comment l’Homme maltraite son environnement et comment la nature réagit. Oui, nous pensons que viendra le jour ou cette planète en aura marre de nos caprices et de notre égoïsme. Il n’y a pas un jour où elle ne nous met pas en garde. Mais ce Jour viendra où elle criera STOP ! Et il sera malheureusement trop tard pour l’Homme. Oh, je ne pense pas qu’elle nous exterminera, non pas tous… Pas ceux en qui elle a confiance et avec qui elle veut communiquer. Oui, je suis sûr que c’est cela dont Cheyenne voulait parler… Nous verrons un monde meilleur où l’Homme vivra en communion avec la flore et la faune. Un monde où nous ne nous détruirons pas les uns les autres. Un monde où chacun apprendra sa part des choses, le respect q’autrui et l’amour des choses insignifiantes.

Shallya et moi attendons une fille. Encore quatre mois d’attente mais je suis confiant… Je sais qu’elle vivra dans un monde où elle n’aura pas à craindre son prochain, pas peur de sortir tard le soir… Oui, ce monde nous l’attendons avec impatience. Nous attendons l’appel de Cheyenne.

 

Auteur: Apposaï
E-mail: appossai@ool.fr

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