Ombre
Seul ses yeux et la partie supérieure
de sa tête dépassaient de sa couette.
Allongée sur son lit, les doigts serrant plus fort qu’il ne le faudrait
sa couverture… Elle ne cessait de guetter la fenêtre.
_S’il te plaît Papa, se remémore-t-elle
lui avoir dit lors du dîner.
Une chaleur diffuse et agréable émanait de la cheminée
de la salle à manger. Son regard bleuté abandonna un instant
ses petits pois carotte, qu’elle ne cessait de faire rouler du bout de sa
fourchette, survola le parquet en latte de bois verni, passa au-dessus de
Maïka sa chienne… Un Berger malinois confortablement couché sur
son tapis fétiche, pour ensuite remonter et s’arrêter sur le
feu de la cheminée. Il se pourrait que ces couleurs chatoyantes et
cette chaleur ardente puissent dissiper toutes ses peurs. Ses yeux déjà
humides ne purent retenir d’avantage une larme… roulant lentement le long
de sa joue pour se perdre dans le creux de la commissure de ses lèvres.
_Peut-être pourrions-nous faire une exception juste pour aujourd’hui.
Son regard revint aussitôt à son assiette et brava ensuite celui
de sa mère en qui elle voyait son sauveur.
_Nous en avons déjà parlé longuement Jessica, répondit
froidement son père. Jessica à maintenant neuf ans, il serait
grand temps pour elle d’affronter ses peurs et de cesser un instant de la
couver.
_Je comprends chéri, mais peut-être que nous pourrions…
La main de sa mère se posa délicatement sur la main rugueuse
et ferme de son père. Il suffit à Jessica de croiser le regard
de son père durant une fraction de seconde pour comprendre que celui-ci
ne flancherait ni ce soir, ni pour les autres soirs.
Ses yeux se baissèrent de nouveau vers ses petits pois carotte. Elle
n’en voulait pas à son père, elle l’aimait beaucoup trop malgré
sa rudesse. Mesurant près d’un bon mètre quatre-vingt, Joseph
STELMER était bâti comme une armoire à glace. Un fermier
de pure souche travaillant de ses mains ses terres pour nourrir sa famille
et ses bêtes. L’expression de son regard et de son visage froid et terne,
terrifierait n’importe quel enfant de son école. Mais en réalité,
il n’y avait pas homme plus doux et compréhensif que son père.
Il ne désirait qu’une chose d’elle ; la rendre plus forte.
_ Si tu n’as plus faim miss, laisse donc tranquille tes légumes. Brosse-toi
les dents et au lit.
_ Oui p’pa, dit-elle à regret en sachant d’avance qu’il aurait percé
son mensonge si elle avait osé répondre qu’elle désirait
terminer son repas.
Avant de monter se nettoyer, elle fit la bise à son père qui
lui chuchota dans le creux de l’oreille : « Les Ombres prennent la forme
que leur donne notre imagination, mais elle seule s’est vraiment les dompter.
»
Tapit dans la pénombre de sa chambre, elle essayait
en vain de traduire les paroles de son père mais c’est à croire
que les adultes font exprès de vous parler dans un langage leur étant
propre. Alors qu’il leur est si simple de dire les choses telles qu’elles
sont. Au milieu des ténèbres, elle souhaita au fond d’elle-même
qu’il fasse mauvais temps durant toute la nuit. Ses yeux s’écarquillèrent
quand une lueur blafarde vint traverser la fenêtre, éclairant
partiellement sa commode. De gros nuages s’étaient amoncelés
au début de la nuit, lui faisant comprendre qu’ils ne pouvaient passer
qu’une fois devant la lune. Les lois de mère nature étant implacable.
Son regard pivota sur la gauche. Son réveil électronique affichait
vingt heures et dix-huit minutes. Les trois quarts de sa chambre baignaient
maintenant dans la lueur blafarde lunaire. Les rideaux de ses fenêtres
paraissaient si mince que c‘était à se demander à quoi
ils servaient exactement. Il était encore tôt, le moment qu’elle
redoutait le plus ne se déroulerait pas avant minuit et demi ou une
heure du matin.
_La vie est injuste, pensa-t-elle en serrant d’avantage sa couette dans ses
poings.
Ses yeux pleuraient de nouveau mais elle ne put empêcher quelques gémissements
s’échapper de ses lèvres. Elle aurait voulu se montrer forte
pour faire plaisir à son père, mais les Ombres grignotaient
du terrain. Chaque mois qui défilait était un supplice supplémentaire
pour Jessica. Au départ il ne s’agissait que d’ombres, biscornus certes,
développant d’étranges formes question de lui faire découvrir
un peu leurs capacités à se métamorphoser. Mais cela
faisait maintenant trois ou quatre mois que les Ombres ont acquis une nouvelle
faculté qui ne leur était pas propre auparavant… celle de se
mouvoir.
_C’est ridicule, lui rétorqua sa mère. Ce n’est qu’une peur
infantile.
Infantile, un mot dont elle ne connaissait pas la signification jusqu’à
ce jour. Car elle ne perdit pas une minute pour aller feuilleter un dictionnaire.
_ Bizarre, pensa-t-elle, que les enfants aient leurs peurs à eux et
les adultes les leurs.
Celles des enfants se rapprochant souvent à l’imagination. Mais une
chose était catégorique aux yeux de Jessica, le noir ne lui
faisait pas peur… Seule les Ombres la terrifiaient… Les Ombres de sa chambre
en particulier, les seuls à pouvoir se déplacer. Lentement peut-être,
mais elles avançaient tout de même.
Jessica discutait longuement de ses peurs à sa mère, mais celle-ci
associait la peur des Ombres à la peur du noir. Chaque mois à
la même période, elle allait dormir dans la chambre de ses parents,
durant deux nuits. Deux nuits où ses parents se réveillaient
en sursaut. Leur fille hurlant comme si l’on égorgeait un porc.
_ Ils veulent m’attraper, ils veulent m’attraper maman ! Me prendre avec eux
!!
Ce n’est que le mois dernier qu’elle eut une conversation sérieuse
au sujet de ses peurs avec son père. Contrairement à sa mère,
celui-ci resta de marbre… comme à son habitude, mais ne parla ni de
peur infantile, ni de peur du noir. Jessica sa mère avait tendance
à utiliser le mot cauchemar néanmoins ce n’était rien
de tout ça. Elle ne dormait pas, elle les voyait glisser sur le mur
si lentement qu’elles essayaient de la berner, de lui faire croire qu’il s’agissait
d’une branche d’arbre, son ombre reflétée par la lune.
Joseph avait écouté toute l’histoire sans dire un mot. Il lui
posa une simple question qui lui donna un frisson. Ils étaient tous
deux montés dans sa chambre, s’asseyant sur le lit, restant muet pendant
quelques minutes jusqu’à ce qu’il rompe le silence.
_ Jusqu’où arrivent ses Ombres maintenant ?
Elle se leva, lui montra l’emplacement en plaçant son doigt sur le
mur. Celui-ci se leva à son tour, s’agenouilla en face d’elle et l’étreignit
très fort. Elle se laissa aller et sanglota sur les épaules
de son père.
Il abandonna la chambre comme il était entré. Il ne lui avait
rien dit, pourtant elle eut l’impression qu’il la comprit comme si lui-même
avait déjà vécu ce genre de phénomène.
Ce qui ne l’empêcha pas pour autant de l’envoyer dormir ce soir dans
sa chambre… Affronter, elle et elle seule ses Ombres.
L’Ombre de l’arbre du jardin se projetait déjà sur le mur. Elle
y avait parcouru une quinzaine de centimètres. La lune était
encore basse.
Il s’en était fallut de peu la dernière fois. Les Ombres disparurent
à l’instant même où son père déboula en
trombe dans sa chambre. Elle se rappelle avoir essayé de quitter cette
pièce, mais elles prirent vie devant elle. Les voir glisser sur n’importe
quelles parois, la poussait à croire qu’elle hallucinait. Son imagination
dé bordait à un point tel qu’elle pensait rêver les yeux
grands ouverts… Jusqu’au jour… Un soir de pleine lune comme celui-ci, où
elle fut réveillée en sursaut. Sa couette avait été
violemment tirée de son lit. Sa chambre baignait dans la lumière
blafarde de la lune, ce qui lui permit de la distinguer nettement à
terre. Elle gisait là, à moins de trois mètres d’elle,
mais le plus surprenant pour Jessica fut de la voir vibrer et finalement bouger.
Se déplaçant lentement sur le carrelage froid de la pièce,
la couette se hasarda à gravir le mur, s’approchant peu à peu
de la fenêtre. La jeune fille les voyait, difficilement. Leurs ondulations
les trahissaient. Elles semblaient bien pourvues de vie, mais quel adulte
croirait à une telle histoire.
Sa couverture continua son ascension, se retrouvant rapidement stoppée
par le montant de la fenêtre fermée. Jessica ne put retenir un
petit rire nerveux. Elle pensa durant un court instant que finalement ces
Ombres n’avaient rien de diabolique. La couette retomba en percutant le sol
dans un bruit sourd. L’ombre de la branche d’arbre prit une toute autre apparence,
doublant de volume mais prenant des contours plus agressifs. Les nœuds se
transformants rapidement en arrêtes, les tiges ressemblaient maintenant
à de longues mains dé charnues, griffues, se déplaçant
lentement tels des araignées.
Une étrange impression assaillit Jessica, une sensation supérieure
à la peur. Sa gorge devint si rêche qu’elle en fut surprise elle-même.
Ses yeux aussi sombres que la pénombre de la chambre s’écarquillèrent.
Elle aurait voulu crier mais son larynx n’émit aucun son. Ses lèvres,
serrées l’une contre l’autre n’esquissèrent pas le moindre mouvement.
Ne voyant rien pouvant stopper leur ascension, les doigts graciles de Jessica
se crispèrent sur ses draps.
_ Crie, pensa-t-elle. Crie, papa est obligé de t’entendre… Mais crie
bon sang !
Sa petite voix intérieure avait beau la réprimander, elle ne
parvint toujours pas à articuler un mot. Seul des gémissements
se firent entendre.
De nombreuses mains parcouraient maintenant le mur, gagnant constamment du
terrain… Se rapprochant progressivement de la porte d’entrée. Pivotant
son regard sur la seule issue possible, se dressant à moins de deux
mètres d’elle sur sa gauche… Jessica maudit sa faiblesse. Il lui fallait
absolument se lever, cependant la force nécessaire lui manquait. Trois
bons mètres la séparaient de ces Ombres menaçantes, silencieuses
et pourtant bien présentes.
_ Papa…
Un faible sifflement s’échappa de ses lèvres. Les Ombres semblèrent
s’exciter aux murmures causés par Jessica, vibrant et gigotant dans
tous les sens, se transformant à nouveau, prenant des aspects plus
diaboliques les unes que les autres, terrifiant la petite… La poussant dans
un mutisme total.
Ses poings serrèrent les draps de son lit si fort que la jointure de
ses doigts la furent souffrir. Toutes les Ombres se rassemblèrent,
formant un amalgame unicolore et… Indépendant. Contrairement aux ombres
qu’elle avait pu voir jusqu’à présent, celle-ci mesurait près
de deux mètres de hauteur et prenait rapidement une forme humanoïde,
flottant sur le mur sans avoir aucun point d’attache avec le sol, le plafond
ou l’ombre de l’arbre du jardin.
_ Jessica, fit une voix rauque et caverneuse.
A l’entente de son prénom, Jessica sursauta si violemment qu’elle en
perdit l’équilibre, manquant de justesse de tomber à la renverse
et s’étaler de tout son long sur le sol.
_ Papa ! , Cria-t-elle.
Un cri hystérique qu’elle renouvela de nombreuses fois, tandis que
les contours de la créature de l’Ombre se définissaient avec
une précision absolue.
La pleine lune venait d’atteindre son apogée. Période de la
nuit où leur force était au summum.
L’Ombre démoniaque se rapprocha de la porte pour y apposer un bras
démesuré… se plaçant entre l’adolescente et la seule
issue possible.
_ Ce n’est qu’une ombre, elle… Elle ne peut pas me faire de mal, se dit-elle
plus pour se réconforter.
Réunissant le peu de courage qu’il lui restait, avant que celui-ci
ne lui fasse faux-bond… Jessica posa ses pieds nus sur le carrelage glacé,
se leva et bondit vers la poignée de la porte. Deux mètres la
séparaient de la sortie, une courte distance qui pourtant lui parut
être la plus longue de sa vie. Elle eut l’impression de se mouvoir au
ralenti. Deux à trois petits pas à effectuer, mais ceux-ci se
réalisaient si lentement qu’elle en fut consternée et terrifiée.
Ses yeux humides donnaient naissance à des torrents de larmes intarissables
; L’expression de son visage n’avait plus rien à voir avec celui d’une
gamine de neuf ans. Son innocence lui avait été dérobée
comme sa joie de vivre ; Elle tendit la main vers la poignée de la
porte, un mètre à franchir, soixante-dix centimètres…
Sa vue se troubla, les larmes, la sueur ou peut-être la peur… La scène
se déroula comme dans un téléfilm qu’elle avait vu dernièrement
à la télévision. De nombreuses personnes dansaient dans
une boîte de nuit sur une musique déjantée. La salle plongée
dans le noir absolue se voyait éclairée par intermittence, par
une multitude de spot de couleur créant une sorte d’effet stroboscopique.
Elle avait l’impression de vivre le même effet que cette vision… De
se déplacer avec des mouvements saccadés, chacun séparé
de quelques microsecondes. Cinquante centimètres… le bras de la créature
de l’Ombre se détacha lentement de la porte. Trente centimètres…
_ Ce n’est qu’une ombre, pensa-t-elle, essayant dur comme fer de se convaincre
elle-même.
Mais ses illusions s’évaporèrent aussi vite qu’une flaque d’eau
sur le sol aride du désert. Voyant et appréhendant le coup lui
étant destiné, Jessica plaça ses mains devant son visage…
Un réflexe qui lui permit d’éviter de tomber dans l’inconscience.
Refermant les yeux tout en criant à l’approche du coup, elle se sentit
soulevé et projeté dans les airs, comme ci une bourrasque de
vent l’avait frappé de plein fouet. Son cri dura jusqu’à ce
qu’elle retombe durement sur le matelas de son lit. Elle entendit des bruits
de pas étouffés s’approcher… Elle n’osa pas ouvrir les yeux.
_ Viens Jessica, fit de nouveau la voix caverneuse.
Recroquevillée sur son lit, elle essaya de ne plus écouter cette
voix en recouvrant sa tête de son oreiller. Les pas se firent plus pressant.
Elle sentit une pression légère sur son polochon, une pression
augmentant progressivement.
_ Elle veut m’étouffer, songea- t-elle en gigotant dans tous les sens,
voulant absolument s’extraire de cette étreinte avant que l’air ne
vienne à lui manquer.
Le visage comprimé contre le matelas, la jeune fille cessa de crier
pour aspirer une grande bouffée d’air, certainement la dernière,
vu le mal qu’elle eut pour l’absorber. Elle était dans l’incapacité
de respirer d’avantage. Ses petites mains battaient l’air, saisirent les draps,
les empoignèrent sauvagement, les griffèrent sans pour autant
parvenir à les déchirer.
La porte de chambre s’ouvrit avec fracas.
_ Jessica !
L’oreiller se souleva doucement, laissant de nouveau la clarté de la
lune baigner son visage en sueur.
_ Papa, parvint-elle à dire essoufflée, essayant de récupérer
son souffle.
La frimousse en pleurs, elle plongea dans les bras de son père, s’y
abandonnant complètement.
La lumière de la chambre s’alluma brusquement. Le regard noir de Joseph
STELMER scruta la pièce du sol au plafond avant de se poser délicatement
sur sa fille, blottie contre lui toute tremblotante.
_ Encore ce cauchemar.
Joseph se releva de toute sa stature, soutenant sa fille dans ses bras tout
en pivotant vers l’encadrement de la porte où se tenait sa femme. Une
magnifique rousse vêtue d’une nuisette fleurie couleur pêche.
_ Ca n’a rien d’un… commença-t-il, s’arrêtant brusquement au
milieu de sa phrase.
_ Ca n’a rien de quoi ? , Poursuivit Jessica en s’approchant lentement d’eux,
passant tendrement la main dans les cheveux de Jessica.
_ Ca va aller ma chérie, Papa et maman sont là.
Jessica tremblait encore dans les bras de son père, elle le serra beaucoup
plus fort sans s’en rendre compte.
_ Va te reposer Léni, tu dois te lever tôt ce matin.
_ Tu ne vas tout de même pas la laisser de nouveau dans sa chambre.
Son cauchemar n’a jamais été aussi fort qu’aujourd’hui.
_ J’en suis conscient, acquiesça-t-il en lui lançant son fameux
regard… Celui de ne pas insister.
Comme à son habitude, Jessica lui sourit, lui baisa tendrement la joue
en ajoutant : « Fait pour le mieux. »
Entendant les bruits de pas de sa mère s’éloigner, Jessica ouvrit
les yeux pour la voir bifurquer dans la chambre des parents.
_ Alors ma grande, on reprend du poil de la bête.
S’observant mutuellement, elle essaya de lui sourire mais cela sonnait faux…
Bien qu’il n'en faille pas plus pour lui faire plaisir. La raccompagnant jusqu’à
son lit, il la posa délicatement, la borda, lui baisa le front, se
leva…
_ Papa, Fit-elle en lui agrippant la main comme une bouée de sauvetage.
_ N’aie pas peur princesse, je ne te laisserai pas seul.
… Se dirigea vers le bureau de sa fille pour y prendre la chaise. Revenant
auprès d’elle, Joseph s’assit en face de sa fille dans un silence total.
Dix bonnes minutes passèrent avant que Jessica ne se décide
à le rompre. Durée pendant laquelle aucun mouvement ne fut perceptible
à part celui de ses yeux… Scrutant le moindre recoin de la pièce.
_Ce… Ce ne sont pas des cauchemars Papa…
Joseph connaissait suffisamment sa fille pour se rendre compte qu’elle était
encore sous le choc, terrifiée… faisant tout de même l’effort
d’en parler. Joseph le père s’effaça pour laisser place à
Joseph l’ami et le confident.
_ Elles existent vraiment, dit-elle difficilement. Elles… Elles ont voulu
m’étouffer sous mon oreiller… Si tu n’étais pas arriver papa,
je… je…
Jessica pivota sur sa droite, se recroquevilla et sanglota… présentant
son dos à son père.
_ Je… je pensais que tu me faisais confiance, mais… Tu m’as laissé
dormir avec elles.
_ Il fallait que tu les affrontes Jessie, leur montrer que tu es au-dessus
de tout ça… Qu’ils ne peuvent t’atteindre.
A ces mots, la jeune fille se retourna, observant attentivement le regard
de Joseph.
_ Tout comme moi, tu as dû voir l’ombre de ta mère lorsqu’elle
est arrivée au près de moi. L’enfant acquiesça de la
tête, elle se rappelle avoir ressenti un frisson d’une intensité
telle que ses muscles se contractèrent. Quelques secondes auparavant,
au moment où son père la portait pour faire face à Jessica…
Elle aperçut un mouvement de son ombre projeté au sol. Celle-ci
ondulait comme la flamme d’une bougie sous l’effet d’un faible vent.
_ J’ais ressenti ta peur quand maman t’a caressé les cheveux. Mais
n’ais aucune crainte, les Ombres n’ont pas pris possession d’elle.
Joseph put lire comme une sorte de soulagement dans le regard de sa fille.
_ Tu… Tu les as déjà vus papa, avant aujourd’hui.
_ Tous les enfants ont eu l’occasion de les voir au moins une fois dans leur
vie… Moi y compris. Mais nous les voyons tous de manière différente.
_ On a chacun des ombres ?
_ Oui ma chérie, mais tu les oublieras en grandissant… Tu te mentiras
à toi-même, te faisant croire qu’il ne s’agit que de ton imagination.
_ Mais… Je ne veux pas grandir avec elles, dit-elle les larmes lui montant
aux yeux. Elles me font peur… et veulent me faire du mal… Elles veulent me
tuer papa, finit-elle par dire en plongeant dans les bras de ce dernier. Je
ne veux plus jamais dormir dans ma chambre… Plus jamais.
_ Il va le falloir ma puce, chuchota-t-il à son oreille. Tu leur à
donner vie, c’est donc à toi de leur montrer qui est le maître.
Quelques secondes de silence s’instaurèrent, vite rompu par la voix
douce et grave de Joseph.
_ Mes Ombres ressemblaient à des lutins, pas plus haut que trois pommes.
A leur première apparition ils paraissaient joueurs, sympathiques.
Leur jeu ne consistant en réalité qu’à se rapprocher
de moi. Au fil des mois, je les considérais comme mes véritables
amis, mais ils me montrèrent rapidement leur véritable visage
ainsi que leur réel intention. Plus la distance entre eux et moi se
réduisait, plus leur physique se métamorphosait en un être
démoniaque : YISHALLA.
_ Ichala ? , Reprit Jessica surprise par l’histoire de son père.
Jusqu’à présent Joseph s’était montré réservé
sur cette étrange affaire de cauchemar, et voilà-t-il pas qu’il
lui narrait maintenant une histoire vécue dans sa plus tendre enfance.
_ YISHALLA, un démon africain faisant partie de l’ordre des esprits
de la nuit ou de l’ombre.
Elle restait bouche bée devant le savoir de son père.
_ Ton vieux père à fait des recherches sur cet esprit une fois
plus grand. Jeune, j’ais pu lui échapper mais j’ais toujours voulu
savoir ce qui arrivait aux enfants qui avaient moins de chance… Ce qui aurait
pu m’arriver si je n’avais une imagination débordante.
Assise sur les genoux de son père, l’enfant se redressa, le regarda
droit dans les yeux et lui dit : « Tu as réussi à lui
échapper. »
Joseph acquiesça de la tête en lui répondant : «
Oui mais non sans combattre. »
Jessica ne savait plus que dire, elle paraissait stupéfaite, abasourdie
et terrifiée par le fait que son père, beaucoup plus jeune,
avait dû affronter cette créature démoniaque pour acquérir
le droit de dormir paisiblement la nuit.
La conversation dura près d’une bonne heure avant que les paupières
de Jessica ne deviennent enfin lourdes. Elle s’endormit avec le cœur léger,
et une lueur d ‘espoir de sortir enfin de ce cauchemar.
Ses souvenirs d’enfant lui paraissaient si frais qu’elle
eut l’impression que cela s’était produit hier. Ses yeux bleus baignés
d’une nuance de gris se fixèrent sur un jeune garçon à
peine âgé de huit ans. Allongé sur son lit, une couverture
le recouvrait jusqu’à hauteur des pectoraux. Celui-ci l’observait d’un
regard aux multiples expressions dont la fascination, la fierté et
la curiosité.
_ Maman…
Elle s’était une fois de plus absentée. Ses réminiscences
avaient tout gardé de leur vivacité… Le simple fait d’y penser,
lui donnait la sensation de les revivre.
_ Que s’est-il passé ensuite ?
Ebouriffant les cheveux de son fils, elle lui lança un sourire qui
aurait pu illuminer la pièce si elle n’était déjà
éclairée.
_ Arrête maman, rétorqua le garçon en essayant de lui
repousser la main.
Elle savait parfaitement qu’il n’aimait pas ça, mais elle avait besoin
de ce contact… pour se rassurer.
_ Excuser moi Mr Joseph junior…
Il tenta de lui lancer un regard noir, mais celui-ci ne tint pas longtemps
la route. Il n’arrivait jamais à en vouloir à sa mère.
_ Pardon Jojo, reprit-elle en lui caressant la joue droite.
Madame savait impunément que seul son grand-père possédait
le privilège de l’appeler de cette façon. C’était une
sorte de complicité entre eux. Pour le reste de la planète,
on devait se contenter de Joseph tout court ou Jojo.
_ Le lendemain, ton grand-père est parti faire les magasins. Dans l’unique
but de me ramener un chien en peluche. Un molosse noir assis mesurant une
trentaine de centimètres. Un Doberman ou un Rotweiller… Qu’importe.
La lumière artificielle de la chambre et la noirceur de la nuit tapie
derrière la fenêtre s’éclipsèrent… Laissant place
aux rayons du soleil et à une journée radieuse.
_ Mes salutations princesse. Puis-je me permettre d’entrer
?
Assise en face de son bureau, Jessica pivota sur sa chaise… contemplant son
père des pieds à la pointe des cheveux. Celui-ci se tenait au
milieu de l’encadrement de la porte, les mains derrière le dos dissimulant
maladroitement un objet.
_ Seulement si mon chevalier me dévoile ce qu’il cache si bien derrière
son dos, répondit-elle, Un léger sourire aux lèvres.
Elle fera tomber les hommes comme des mouches avec ce sourire, Se surprit-il
à penser, Pas question que quelqu’un ou quelque chose le lui enlève.
_ Figurez-vous que lors de ma dernière croisade, j’ais fait connaissance
avec un prince d’une contrée lointaine. Il se permet de vous envoyer
ce présent dans l’attente d’une rencontre future.
Passant ses mains devant lui tout en avançant, Joseph lui présenta
un objet recouvert de papier cadeau. S’arrêtant à un mètre
de sa fille, il s’inclina et lui tendit l’objet en question. Le prenant dans
ses petites mains, elle le posa ensuite sur son bureau à côté
du travail qu’elle effectuait avant l’arrivée de son père. Alors
qu’elle ouvrait le papier cadeau en prenant un soin méticuleux à
décoller chaque morceau de scotch, Joseph s’approcha du bureau, courba
son dos, posa ses coudes sur la plate-forme en chêne vernis et jeta
un coup d’œil sur le cahier de sa fille. Un cahier de dessin pour le moins
surprenant. Les premiers croquis représentaient Jessica sortant un
gâteau du four, Jessica derrière elle léchait la cuillère
en bois. Sur un autre on pouvait voir joseph en train de labourer ses champs
au volant de son tracteur. A vrai dire, Joseph était plus souvent dessiné
que Jessica… Soit en train de travailler ou de jouer avec sa propre fille.
Cependant, les sept derniers croquis le surprirent. Des ombres… Des ombres
de différentes formes couvraient en totalité les pages. Néanmoins,
ce qui retint surtout l’attention de Joseph, fut la créature démoniaque
que Jessie croqua sur les quatre dernières pages.
Jessica déballa enfin le cadeau de son père. Elle tenait dans
ses mains une magnifique peluche de Doberman.
_ Merci papa, dit-elle en observant précieusement sa peluche.
Posant la main droite sur l’épaule de sa fille, il fit glisser le cahier
de son autre main sur le bureau… le plaçant face à elle. Levant
la tête, son regard croisa celui de son père.
_ Il s’appelle Cerbère. Travaille ton imagination sur lui et il se
montrera ton meilleur ami. Il montera la garde tous les soirs pour te protéger,
et s’attaquera à cette créature si jamais elle revient, dit-il
en tapotant du doigt le démon du cahier.
Relâchant la peluche, elle ne put s’empêcher de serrer très
fort son père.
_ Les Ombres prennent plaisir à se jouer de toi, mais à la prochaine
nouvelle lune… L’ombre de Cerbère sera présente pour le recevoir.
_ L’ombre de Cerbère…
La pièce reprit rapidement de sa clarté. La voix enfantine donnait
l’impression de venir de très loin.
_ C’est le nom que grand-père donna à ma peluche.
_ Et… il t’a vraiment protégé ?
_ Il a fait plus que me protéger Jojo, il s’est sacrifié pour
me sauver la vie.
Toujours allongé sur son lit, le jeune garçon réfléchi
un petit moment à tout cela avant de reprendre la parole.
_ Mais tu m’as dit que la créature était immense, avec des griffes
et… et des crocs.
_ C’est vrai, ce fameux soir lorsqu’elle arriva, Cerbère avait la taille
d’un chat à côté d’elle, mais sa férocité
n’avait d’égale que la haine et la force que je lui donnais, répondit
Jessica qui revivait cette scène avec moins d’appréhension qu’elle
ne l’aurait cru.
La pleine lune voguait haut dans le ciel, baignant
la chambre de toute sa clarté. Le réveil électrique posé
sur la table de chevet indiquait 0H47. Jessica, parfaitement éveillée
ne cessait d’observer à tour de rôle l’ombre de l’arbre du jardin
et l’ombre de Cerbère. Elle l’avait posé sur un tabouret près
du mur, de manière à ce que son ombre se reflète convenablement
sur le mur de la chambre. La peur ne l’habitait pas, mais elle aurait donné
tout ce qu’elle possède pour que son père soit présent
à cet instant.
_ Elle ne va pas venir aujourd’hui, pensa-t-elle. Elle a senti la présence
de Cerbère et le redoutait.
Comme pour effacer toutes ses illusions, une rafale de vent fit voltiger les
rideaux de la fenêtre, faisant vibrer au passage la peluche.
_ Bonsoir Jessica.
Jamais elle ne pourra oublier cette voix d’outre-tombe qui lui glaçait
le sang à chaque syllabe. Les battements de son cœur s’affolèrent,
faisant des bonds qu’elle avait l’impression d’entendre. Les branches de l’arbre
se rétractèrent et disparurent totalement, contrairement à
tous ces mois de tourments où elles prenaient des apparences plus démoniaques
les unes que les autres. Chose plus incroyable encore, toutes ombres avaient
déserté la chambre. Son rythme cardiaque garda son train d’enfer.
La peur la gagnait peu à peu, commençait à la submerger.
La peluche paraissait toujours présente avec son Ombre fidèle.
Le fait d’apercevoir cette seule et unique ombre la rassurait.
_ Ca marche, pensa-t-elle en ayant une pensée pour son père.
Monte bien la garde mon chien, l’Ombre arr…
Sa pensée fut interrompue par une violente secousse ébranlant
son lit. Jessica sursauta, croyant à un tremblement de terre, mais
aucun meuble ni objet ne bougea à l’intérieur de sa chambre.
Seul son lit vibrait comme animé d’une vie lui étant propre.
La lumière lunaire déclinait à vue d’œil. Jessie crut
un instant que des nuages épais masquait le ciel, mais remarqua rapidement
que la faute en incombait à la coloration des vitres de la fenêtre.
Celles-ci devinrent opaques, aussi noires et ténébreuses que
les Ombres, sans pour autant s’en arrêter là. La noirceur des
vitres déborda comme un vulgaire liquide visqueux, rampant maintenant
sur les murs, accaparant et recouvrant toutes choses opposées à
leur nature. La matière noire et épaisse s’attaqua au bureau,
à l’armoire, aux plinthes et maintenant au carrelage. Elle se déplaçait
à une vitesse telle qu’en moins d’une minute, la moitié de la
chambre fut plongée dans le noir absolu. Jessica sentit des pics tout
le long de son dos, croyant un instant qu’une personne prenait un malin plaisir
à lui piquer le dos à l’aide d’aiguilles.
_ Cerbère, murmura-t-elle.
Le tabouret et la peluche furent si vite engloutis qu’elle en resta bouche
bée.
_ Nous disposons de toute la nuit pour faire plus ample connaissance Jessica.
La voix monocorde résonna si fort dans la pièce que Jessie porta
ses mains à ses oreilles afin d’éviter ce supplice.
_Papa ! Hurla-t-elle au moment où les ténèbres enveloppèrent
totalement sa chambre.
_ Plus personne ne peut t’entendre Jessie, il n’y a que toi et… moi.
Deux yeux luisants et menaçants se matérialisèrent à
moins d’un mètre d’elle. Des yeux similaires à ceux d’un loup,
sournois et calculateur. Elle ne distinguait rien d’autre de la créature
avançant dans un silence total… Rien mis à part ce regard de
braise.
_ Tu…tu ne me fais plus peur, dit-elle en repoussant discrètement ses
draps.
S’agenouillant, elle ferma ses poings pour faire face à la terreur
absolue.
_ Tu n’existe pas, ajouta-t-elle le sang en ébullition, tu n’es qu’une
ombre… une ombre comme les autres.
Les veines gonflées à bloc et le cœur explosant à chaque
battement, Jessica se leva gauchement sur le matelas pour faire face au regard
menaçant de YISHALLA : le Démon de l’Ombre.
_ Je n’existe pas, fillette !
Sa voix gutturale perça pour la seconde fois les tympans de l’adolescente
qui baissa la tête en se protégeant les oreilles. Elle ressentit
un déplacement en face d’elle. Une rafale de vent ébouriffa
ses cheveux au moment où elle eut l’impression de se faire percuter
par un camion. Ses yeux s’ouvrirent sur le vide mais en moins d’une seconde,
elle se retrouva propulsée dans les airs… en direction du mur qu ‘elle
redouta. Sa vitesse de propulsion fut telle qu’elle pensa que son père
la récupèrerait à la petite cuillère le lendemain.
Jessie percuta en effet le mur, un mur pour le moins bizarre… sa structure
moléculaire s’approchant à de la mélasse un peu plus
compacte.
Une douleur vive lui enleva un cri. Une main griffue disproportionnée
la tenait fermement par le bras gauche, lui égratignant tout d’abord
son épiderme pour y exercer une pression telle que les griffes pénétrèrent
sa chair.
_ Ton âme m’appartient jeune fille…
_ Je ne me contenterais pas uniquement de la prendre… je l’arracherais de
ton enveloppe charnelle.
_ Cerbère t’en empêchera…
Le Démon la contempla durant une fraction de seconde, l’observant clairement
de son regard de braise.
_ Cerbère, répéta-t-il. Pauvre inconsciente, n’as-tu
pas compris que je reflète tes pires craintes, tes pires peurs, tes
angoisses et tes doutes… je suis ton propre cauchemar personnifié.
Tu m’as donné vie Jessica, tu m’as nourri et tu voudrais maintenant
me repousser en me privant de ma dette envers toi.
_ Tu… tu veux prendre mon âme, dit-elle difficilement, la douleur lui
vrillant l’esprit. Tu as dit que je t’ais donné la vie… alors pourquoi
vouloir me… tuer ?
_ Tu es encore trop jeune pour comprendre qu’une fois ton âme absorber,
tu vivras à travers moi… tu auras accès à un monde où
tous tes désirs deviendront réalité.
_ Mais… je ne veux pas abandonner mes parents…
Des larmes abondantes coulaient le long de ses joues.
_ Il est trop tard pour avoir des regrets…
La voix du Démon baissa rapidement d’intensité, devenant inaudible…
laissant place à celle d’un enfant.
_… Maman, que s’est-il passé ensuite ?
Recouvrant ses esprits, Jessica observa son fils Joseph droit dans les yeux.
Celui-ci la fixait avec une attention si profonde qu’elle crut s’y perdre
durant un court instant.
_ Il s’apprêtait certainement à me donner le coup de grâce,
mais il fut interrompu par…
Le flot des souvenirs la submergeait de nouveau, l’immergeant… la faisant
basculer dans des réminiscences lointaines et douloureuses.
Le Démon de l’Ombre leva son bras droit puissamment
bâti et s’empressa de l’abattre sur l’enfant. Percevant le mouvement
de l’air, la fillette referma ses yeux en plaquant ses mains sur son visage.
Le Démon jubilait déjà de plaisir, le simple fait de
penser à sa main fouaillant les entrailles de cette jeune victime,
lui procurait une sorte d’extase proche de la jouissance. Ce sentiment de
béatitude s’évanouit aussi vite qu’il était apparu.
Un étrange grognement interrompit la créature, l’obligeant à
se retourner pour faire face à un doberman, impressionnant de par sa
taille, tapit dans l’obscurité la plus totale… Une obscurité
que YISHALLA perçait sans le moindre mal.
_ Cerbère je présume.
A ces mots, le quadrupède chargea le Démon tous crocs dehors,
dégoulinants de bave. Son regard de braise brava celui de la bête
sans perdre la moindre intensité de son éclat. L’animal bondit
et mordit avec sauvagerie son assaillant à l’avant bras gauche. Chancelant,
le Démon perdit l’équilibre sous l’impacte du choc pour tomber
à moins d’un mètre de la gamine.
Dans sa peur, Jessica quitta en toute hâte son lit, se dirigeant vers
le coin de la chambre le plus proche où se dressait jadis la porte
de la chambre. Le combat entre YISHALLA et Cerbère faisait rage. La
petite ne distinguait rien de ses yeux mais percevait l’aura sombre et diabolique
de ces deux créatures de l’Ombre.
Un coup violent propulsa le chien au bout de la pièce. Se relevant,
le Démon fit signe à l’animal d’approcher.
_ Relève-toi Cerbère, ta maîtresse à placer tous
ses espoirs en toi… ne la déçois pas.
Un sourire des plus diabolique se dessina sur la face de YISHALLA, ses poings
se desserrèrent, ses griffes jouant de leur cliquetis.
_ Tu n’es pas juste une ombre, pensa Jessica, tu es la lumière qui
vaincra mes Ombres.
Se redressant sur ses pattes, Cerbère jugea de nouveau son adversaire.
Son grognement se fit de nouveau entendre. Une haine le submergeait, si intense
qu’elle en augmentait graduellement ses forces. Il percevait la moindre émotion
émanant de la jeune fille… une émotion le poussant à
affronter ce Démon de l’Ombre jusqu’à que mort s’en suive…
Ses puissantes pattes avancèrent l’une après l’autre, prenant
rapidement de la vitesse, le propulsant vers sa proie sur laquelle il bondit.
… Une mort dont il connaissait déjà l’échéance.
L’attendant de pied ferme, YISHALLA esquiva la charge en se plaçant
de profil, déploya ses ailes qu’il battit d’un mouvement brusque au
moment où Cerbère retomba sur ses pattes, fit volte-face, réitérant
ainsi son attaque. Arrêter en plein vol, le Doberman fut violemment
propulsé contre le mur, à l’aspect étrange, pour retomber
sur le lit de Jessica. Celle-ci ne parvenait toujours pas à voir quoi
que ce soit, mais sentait au fond d’elle-même, que la situation dégénérait…
à son désavantage.
La bête ne laissa aucune chance à Cerbère, même
pas le temps de recouvrer ses esprits. Attrapant l’animal par le collet, lui
enfonçant profondément ses griffes, le Démon le souleva
et lui porta de nombreux coups… lui infligeant de graves blessures sur le
flanc gauche.
_ Arrête ! Cria Jessica en se levant brusquement.
La créature de l‘Ombre cessa aussitôt ses attaques meurtrières.
Tenant inlassablement l’animal par le cou, il pivota la tête vers elle.
A ce moment précis, un mystérieux sentiment l’envahit… quelque
chose clochait.
_ Je ne te… laisserais pas faire de mal à Cerbère.
D’étranges larmes coulaient le long de son visage, des larmes si lumineuses
que YISHALLA lui-même en fut ébloui. Une aura blanchâtre
émanait également de cette enfant… une aura pure, innocente…
…Il se devait de faire vite, un danger imminent le guettait… un risque si
important dont il devait réduire les probabilités à zéro.
Le Doberman se débattait avec l’énergie du désespoir,
l’air commençait à lui manquer. Ses pattes griffaient le vide
à la recherche d’un appui ou de son adversaire. Ses forces l’abandonnaient
peu à peu, il perdait énormément de son fluide vital,
pourtant il se sentait reprendre du poil de la bête… une énergie
extérieure s’insérait dans son corps… une force vitale provenant…
de la jeune fille.
_ Une petite seconde Jessica, juste le temps de m’occuper de ce sac à
puce !
Sans aucune retenu, il plongea sa main droite dans le flanc du quadrupède,
qu’il perça sans la moindre difficulté. Cerbère poussa
un hurlement strident. Un corps étranger venait de s’introduire dans
sa chair et prenait un plaisir sadique à fouailler ses entrailles,
à se frayer un passage parmi ses intestins, passant près de
ses poumons, se figeant autour de son cœur.
Le Démon de l’Ombre paraissait en pleine extase, il détenait
dans sa main l’organe vital de son adversaire. Il ne tenait qu’a lui de mettre
un terme à sa vie.
_ Tu… tu ne peux pas mourir Cerbère, sanglota Jessica. Papa à
dit que tu me protègerais.
Tout son corps diffusait une douce lumière, une clarté suffisante
pour lui permettre d’apercevoir la bête et le Doberman.
_ A la prochaine pleine lune, Cerbère.
L’étreinte autour du cœur se resserra progressivement, mais au moment
où il s’apprêtait à le presser comme un citron, l’animal
explosa dans une gerbe de sang, d’os et de viscères. Un flot de sang
gicla sur le Démon qui fit aussitôt volte-face, non pour se protéger
de cette hécatombe sanglante mais pour fuir.
L’enveloppe charnelle de Cerbère se volatilisa, laissant place à
un spectre lumineux projetant un puissant flash dans la pièce. Une
étrange odeur de brûlé stagnait dans l’air. Les Ombres
ayant recouvert toute la chambre de Jessica, disparurent en une fraction de
seconde. YISHALLA se dressait près de la fenêtre, grièvement
brûlé. Son regard froid croisa celui de la jeune fille qui lui
faisait face. A ses côtés : une créature de lumière
l’accompagnait, produisant une luminosité se déployant et s’intensifiant
à vue d’œil. La douleur devenait insupportable, il se réjouissait
de se paître du sang de Jessica mais il en était autrement maintenant.
La foi qu’elle prônait en Cerbère fut si forte qu’elle était
parvenue à éclipser ses ténèbres avec ses propres
lumières.
Le Démon de l’Ombre lui adressa un semblant de sourire…
_ Nous aurions pu faire de grande chose Jessica, dommage qu’il en soit autrement.
La bête perdit rapidement de sa stature, glissa le long du mur, se jumelant
à l’ombre de l’arbre du jardin pour s’éclipser totalement. Le
cœur de la jeune fille battait la chamade. Ses jambes ne pouvant la supporter
d’avantage, elle s’écroula à genou, la paume des mains plaquée
au carrelage. Une douce chaleur lui chatouilla la joue droite. Cerbère
la léchait tendrement avant de s’éloigner, s’approchant de sa
véritable apparence représentée par une peluche.
_ Cerbère…
Celui-ci se retourna, leur regard se croisant. Il ressemblait à un
fantôme brillant de mille feux.
_ Merci Cerbère.
Cerbère aboya, un aboiement suivit d’un flash si intense que Jessica
en fut ébloui.
Jessica se releva et borda le lit de son fils.
_ Je me suis ensuite réveiller dans mon lit en sueur… comme si tout
n’avait été qu’un rêve.
_ Mais ce n’était pas un rêve maman, grand-père dit que
les Ombres sont bel et bien réelles.
_ Peut-être Jojo… les choses nous paraissent si différentes une
fois adulte.
Elle lui baisa le front en lui caressant la joue. Allumant la veilleuse, elle
baissa l’interrupteur en souhaitant une bonne nuit à son fils avant
de refermer la porte.
_ Je ne t’avais pas menti, très peu d’adulte croient en nous, fit une
voix fluette.
Un sourire illumina le visage de Jojo. Ses yeux scrutèrent chaque recoin
de la chambre.
_ Là haut gros bêta.
Un rire des plus sympathique lui envahi les oreilles. Observant le plafond,
il la vit enfin. Dansant et tournoyant sur cette surface plane.
_ Bonsoir Sibylle.
_ Bonsoir Jojo, à quoi jouons-nous ce soir ?