Night & Day

Le délice de la soie sur la peau. Telle une caresse, le contact avec ce doux tissus la faisait presque frémir. Nue dans un lit de soie ou nue dans un lit de plume, elle ne voyait pas d'autres moyens pour passer un moment de repos convenable. A y réfléchir, elle pouvait bien admettre qu'il s'agissait d'un de ces rares moments où elle se sentait bien. Non, elle ne pouvait pas l'admettre, elle ne le voulait pas. Elle se tourna pour se mettre sur le flanc. Les mouvements du drap lui firent penser à ceux d'une mer agitée. Les plis du drap grandissants comme une vague pour ensuite mourir et laisser leurs places aux suivants reflétaient parfaitement cette métaphore. Elle pressa son index sur ces lèvres, un tic qui apparaissait quand elle réfléchissait. Pourquoi tout était toujours aussi compliqué ! Elle ne put s'empêcher de sourire et de se répondre intérieurement : " Parce que tu compliques toujours tout, très chère ! ". Oui, une fâcheuse habitude mais sans laquelle la vie serait si morne. Enfin, en relativisant la chose, la vie serait morne pour elle car ceux qu'elle rencontrait semblaient se complaire dans la simplicité. Moins ils faisaient fonctionner leurs méninges, mieux ils se portaient. Il était devenu si difficile de trouver un vis-à-vis de taille ! Elle ne put s'empêcher d'avoir un soupir de regret. Elle fut en proie au souvenir de l'époque où son inexpérience lui faisait commettre des erreurs monumentales. Le plus amusant pour elle était de se sortir de situations semblants inextricables. Elle se tourna de nouveau pour se mettre sur le ventre. Elle accompagna le mouvement des draps par un petit rire enfantin. Elle plaça ses bras sous sa tête, en guise de coussins. Sa peau était si pâle qu'on aurait pu la croire malade. Cela ne l'empêchait pas d'utiliser toutes sortes de maquillages pour accentuer cela. Provoquer…oui, elle aimait provoquer, prendre des risques et s'en sortir par une simple pirouette ou un pieds de nez. Comme tout à chacun, il lui arrivait de rencontrer de cuisants échecs mais ces derniers n'étaient pas bien venus chez elle et ne s'y présentaient alors que rarement. Tout était calculé, millimétré, ne laissant au hasard qu'un mince champs d'actions. Un courant d'air parcourut la pièce, entraînant avec lui quelques pétales de fleurs et un magnifique papillon. Doté d'un corps noir jais sur lequel se rattachaient deux ailes d'un superbe bleu nuit aux motifs dorés semblant hypnotiques, il se posa l'épaule de Bélial. Cette dernière sembla tout à lui, toute son attention tournée vers le petit animal. Le papillon s'envola quelques secondes plus tard et se consuma après quelques battements d'ailes. Intéressant… on fomentait encore un sale coup et on la mettait une fois de plus sur la touche. A regret, elle quitta son nid de soie et s'approcha de quelques rangements. Hétéroclite aurait été un bas mot pour décrire le contenu des placards, armoires et autres penderies qui contenaient sa garde robe. On pouvait trouver des robes, costumes d'époque, une collection impressionnante de chapeau de toutes les formes imaginables, de même pour les chaussures. Quant aux couleurs, elles étaient le plus souvent criardes, attaque œil. Elle commença par enfiler des dessous de soie car le contact avec ce tissus lui manquait déjà. De fines dentelles rendaient ces derniers d'un glamour presque outrageux. Elle choisit ensuite un porte-jartelle assorti auquel elle accrocha des bas résille noirs. Ensuite, elle enfila un chemisiers blancs, pleins de froufrous et de dentelles, un jupe longue de couleur noir, fendue jusqu'en haut de la cuisse droite. Elle fit en sorte que par un simple mouvement, le tatouage de papillon qu'elle portait sur la cuisse puisse apparaître à la vue de tous. Pour finir, elle ajouta un châle noir sur ces épaules. Il ne restait plus que la touche finale à accomplir : le choix du maquillage et du chapeau ! Elle fut tentée par un haut de forme mais choisit finalement un bonnet de soie rouge. Ce dernier avait un petit coté enfantin. Se dressant au somment du couvre-chef, deux appendices se dressaient vers le ciel. Environ au trois quarts, ils se repliaient pour que leurs pointes tombent vers le bas. Cela faisait un peu penser à des oreilles d'animal. Elle aimait beaucoup ce chapeau et le portait en de multiples occasions. Elle se maquilla rapidement. Blanchissant d'abord son visage, elle noircit ensuite le tour de ses yeux, dessina quelques larmes. Pour finir, elle rougit sa bouche d'un rouge flamboyant ainsi que ses ongles. Elle se contempla dans un miroir et après quelques secondes elle eut une moue d'approbation. Elle enfila alors une paire d'escarpin aux talons semblants interminables avec en décoration, ce que l'on aurait pu prendre au départ pour un petit nœud mais qui était en fait un papillon. Elle attrapa son ombrelle en plume d'ange et disparut en entrant dans un mur.

 

Cela faisait cinq bonnes minutes qu'elle cherchait l'endroit où avait lieu la réunion. Les bougres étaient assez doués. Elle sentit un frisson d'excitation l'envahir. Elle entra dans la pièce sans y être invitée, sachant très bien qu'elle prenait ainsi de gros risque. Mais dans cette action s'insinuait une menace implicite que tous comprendraient : nulle parole prononcée en Enfer ne m'échappe. Les conspirateurs s'étaient tu bien avant qu'elle entre dans la pièce. Evidemment, ils l'avaient senti venir. Elle retrouva ainsi les Seigneurs Mammon, Belzebub et Asmodée attablés autour d'une superbe table en acajou. Elle vit que deux d'entre eux se renfrognèrent de suite. Pour le troisième, elle sut que ce ne serait pas le cas, bien au contraire. Asmodée…il était actuellement son adversaire. Doué et plein d'esprit, son point faible résidait dans la raison de son conflit avec elle. L'Amour ! Elle exécrait l'Amour. En secret, elle pleurait de ne pouvoir l'approcher. Elle lança à Asmodée un regard plein de dédain. Il lui rendit un regard charmeur. Attention, ce n'était pas à prendre à la légère car peu de personnes, Satans y compris, pouvaient résister à son charme. Elle leur fit à tous une petite courbette et tapa dans ses mains.
- "Mes Seigneurs, quelle surprise pour moi de vous trouvez ainsi réunis ! Aurait-on oublié de prévenir la moitié du conseil qu'une réunion se préparait ?"
C'est Asmodée qui lui répondit d'une voix forte, laissant transparaître sa puissance et son assurance.
- "Bienvenue, très chère. Il ne s'agit en rien d'un quelconque conseil mais plutôt d'une rencontre informelle entre personnes qui s'apprécient. Voilà pourquoi vous n'avez pas été invitée."
Son verbe était coupant comme des lames de rasoir. Il le maniait avec aisance. Bélial raffermit son esprit car elle se sentait défaillir devant la présence des trois Satans. Il ne l'avait pas loupé.
- "Oh, vous me voyez désolée de vous avoir interrompu, moi qui ne pensait qu'à vous divertir, comme me l'a demandé notre Maître. "
Au mot Maître, elle vit Belzebub frémir. Tous respectaient Lucifer…tous sauf un qui avait dans l'idée qu'il se verrait bien à sa place. Il est vrai que l'absence du Seigneur des Enfers commençait à se faire longue. Mammon prit alors la parole :
- "Vas donc distiller ton poison ailleurs, Chapelier !"
La morphologie de Mammon faisait que chacune de ces paroles s'accompagnaient d'un claquement de son bec ce qui le rendait difficile à comprendre. Asmodée reprit.
- "Oui, va donc, fou du Roi, amuser ceux qui te le demanderont…"
Elle prit alors Asmodée au dépourvu pour un court moment, mais qui fut précieux. Elle semblait partir et disparut dans un mur. Elle réapparut par le sol, non loin d'Asmodée. En quelques pas, elle se tenait derrière lui et passa ses bras autour de son cou. Du bout des lèvres, elle touchait son oreille et lui murmura :
- "Ne soyez pas si dur…moi qui était prête à consentir à quelques efforts…"
Elle ne lui laissa pas le loisir de répondre car elle s'enfonça dans le sol, ne laissant à sa place qu'une pétale de rose rouge. Elle avait vu ce qu'il y avait sur la table et cela l'inquiéta. Le livre de compte de Mammon était resté ouvert, posé sur la table. Qu'est-ce que cela signifiait ? Elle ressentit un malaise car elle savait très bien ce que tout ceci voulait dire. Une terrifiante colère s'empara d'elle. Comment osaient-ils ? Elle serra le poing et respira calmement pour se reprendre. Il lui fallait trouver un moyen de les contrer et pour cela, il lui fallait trouver des alliés. Astaroth ne l'aiderait pas actuellement car il s'occupait d'un problème sur son territoire, problème qui ne lui était pas inconnu d'ailleurs. Le Seigneur Léviathan sommeillait quelque part sous les flots et il aurait été de mauvais alois d'aller le réveiller. Il ne restait plus que Baal. Ce n'était pas un mauvais choix si elle arrivait à contenir la rage de sa collègue. Elle était plus que dévouée à leur Maître. Mis à part elle-même, elle ne connaissait personne qui ne lui soit plus dévoué. Bélial se décida et se rendit jusqu'au palais du Satan de la Colère.

Bélial prit garde à ne faire aucune erreur d'étiquette car il ne fallait pas qu'elle la braque contre elle. Surtout pas, car elle y laisserait en plus quelques plumes. Un page la fit annoncer et elle trouva Baal dans son bureau, examinant pensivement des cartes d'état major. Au bout de quelques secondes, elle releva son regard vers Bélial. Son regard était terrifiant. Il respirait la folie mais surtout la rage, la furie. Sa pupille bleu contrastait avec le fond de son œil rouge sang. Bélial ne put s'empêcher d'avoir un frisson. Elle n'aimait pas se rendre ici…pas plus que dans les autres demeures de Satans. Elle avait comprit que c'était le cas des autres aussi, ce qui la rassura sur elle-même. Par contre, elle ne pouvait rester qu'admirative devant la plastique parfaite de son corps. Ses cheveux aussi, elle adorait les longs cheveux blonds de Baal.
- "Salutations. Asseyez-vous, je vous en prie. Que me vaut cette visite ? "
Le ton de Baal, sans être amical, laissait présager qu'elle était au moins neutre. Bélial connaissait certains de ses secrets dont le plus important : elle aimait leur Seigneur et donnerait sans ciller sa vie pour lui. De plus, elle possédait un sens de la stratégie et de la tactique hors pair ce qui faisait d'elle le meilleur commandeur des légions des Enfers. Elle n'aurait pas aimé mener une guerre contre elle. Elle savait que de toute façon cela se serait soldé par une défaite.
- "Bonjour ma Reine. Je m'excuse de venir vous importuner à cette heure mais j'ai reçu des informations fort inquiétantes. J'ai pensé que cela pourrait vous intéresser. "
- Je vous écoute."
Baal ne semblait pas plus intéressée que cela mais Bélial se doutait qu'il ne s'agissait que d'un masque. Elle se contenta de lui expliquer qu'elle avait surprise une réunion secrète entre trois de leurs vis-à-vis. D'après tout ce qu'elle avait pu voir sur la table, ce qu'elle avait apprit auparavant, elle en concluait qu'un coup d'état se préparait. Les pupilles de Baal se rétrécirent pour ne former que deux fines fentes. Elle serrait son poing droit assez régulièrement mais ne semblait pas être en train de réfréner une de ses crises de colère. D'ailleurs, il était bien rare qu'elle les réfrène. Non, elle semblait cogiter sur les révélations qui venaient de lui être faite.
- "Que comptez-vous faire et qu'attendez-vous de moi ?"
Questions intelligentes. Bélial se félicita de ne pas s'être trompée sur le choix de son alliée.
- "Faire échouer leur veine tentative. J'ai besoin d'un soutient. Quelqu'un de fort, quelqu'un qu'on écoute et respecte. C'est pour cela que je me tourne vers vous."
Elle avait rajouté cela à son laïus car sinon Baal l'aurait envoyé paître, lui signifiant qu'elle n'avait qu'à se débrouiller. Et puis, elle ne mentait pas complètement quand elle disait que les autres écoutaient Baal. Ils en avaient une telle peur. Son instabilité la rendait extrêmement dangereuse. On ne pouvait pas dire ou faire n'importe quoi en sa présence. Sinon, c'est que cela était fait en tout état de cause.
- "Qui ?"
Encore une bonne question et Bélial savait qu'il y avait au moins deux noms dans la liste qui la ferait réagir.
- "Le trio est composé des Seigneurs Belzebub, Mammon et dirigé par Asmodée, ma Reine. "
- "Seigneurs…c'est un bien grand mot pour désigner ces personnages. Je suis déçue par Belzebub, je le pensais plus intelligent. Pour les deux autres raclures, je n'en suis qu'à moitié surprise. Nous aurions du faire le nécessaire depuis longtemps mais notre Maître en a décidé autrement et je respecterais ce choix. "
- "Bien entendu, Ma Reine, il était aussi dans mon objectif de suivre les directives de notre Maître."
- "Je n'en doute pas Bélial. Je sais que vous restez une Fidèle parmi les fidèles. Votre subtilité sera plus de mise que mes méthodes. Je vous laisse libre de mener à votre guise cette action. Vous pourrez compter sur mon soutient quand vous en aurez besoin. "
- "Merci de la confiance que vous m'accordez ma Reine."
Bélial s'inclina devant Baal qui la salua d'un signe de tête et prit congé. Elle avait vraiment été bien inspirée en venant ici.

Un grain de sable pouvait facilement dérégler un rouage pourtant bien huilé. Une alliance entre trois personnes décidées à trahir n'était pas quelque chose de difficile à détruire. La difficulté résidait dans le fait de ne pas donner l'impression qu'ils aient eut besoin d'une influence extérieure pour ce faire. C'est dans cette optique que Bélial réfléchissait. Si elle se faisait prendre, Baal la couvrirait. Il lui faudrait évidemment faire attention à elle mais Baal lui éviterait le gros du danger. Il fallait que le trio explose, qu'ils s'opposent sans faire trop de vagues afin de conserver un semblant de réputation aux Satans. Son index avait encore rejoint ses lèvres. C'était plus fort qu'elle. Elle connaissait leurs faiblesses et allait en jouer. Opposer Mammon à Belzebub ne serait que trop simple. Par contre, duper Asmodée serait plus difficile. Enfin l'idée lui vint et un sourire sadique se dessina sur son visage.

Mammon ne comprenait pas pourquoi Baal l'avait fait appeler. Il n'aimait pas aller chez elle, il avait peur d'elle. Mais elle était leur Reine et il lui devait le respect. Peut-être se doutait-elle de ce qui se passait ? Mammon eut une sueur froide. Si elle savait…Il imagina tout de suite le pire. Il respira à grandes goulées afin de retrouver un peu de calme mais n'y parvint qu'en partie. Un page l'annonça à Baal. Quelques secondes plus tard, il se trouvait devant elle.
- "Salutations. Prenez donc place."
- "Mes hommages ma Reine."
Baal laissa peser un lourd silence avant de reprendre la parole. Bélial avait laissé un espion, avec l'accord de Baal, afin qu'elle soit au courant de ce qui se dirait dans cette pièce.
- "Je vous remercie d'avoir répondu si promptement à mon appel."
- "C'est tout à fait normal, ma Reine. Je suis votre dévoué."
Une goutte de sueur coula dans l'œil de Mammon. Il espéra que ceci ne le trahirait pas. Il fut soulagé quand Baal reprit la parole d'un ton égal.
- "Vous souvenez vous de l'édit que nous avions votés lors du conseil 193A65BB666 ?"
Mammon fouilla dans sa mémoire. Ah oui, ce fameux édit qui allouait des crédits supplémentaires à l'effort de guerre mais qui n'avait jamais été utilisé. Pourquoi lui demandait-elle cela ?
- "Oui très bien. Mais où voulez-vous en venir, sauf votre respect ?"
- "J'aurais besoin d'une rallonge budgétaire."
Baal sourit en voyant la tête que faisait Mammon quand elle lui avait demandé cela. On aurait dit qu'il s'agissait de son argent. Elle reprit.
- "Ne vous en faites pas, je n'ai pas besoin d'une grosse somme mais vous comprendrez que la sécurité du territoire en dépend. Comme vous le savez, il réside toujours en Géhenna comme un vent de révolte. Ils ont obtenu leur indépendance au prix de leur sang mais aujourd'hui, ils aimeraient beaucoup plus. Oui, plus et ils sont prêts, pour cela, à passer des alliances impies. Vous rendez vous compte, ils sont prêt à trahir Lucifer en demandant de l'aide aux anges !"
Baal avait ponctué la fin de sa phrase de façon très hargneuse et haineuse. Mammon eut un petit hoquet de surprise. Ce qui se passait en Géhenna ne l'intéressait pas habituellement mais si la sécurité des Enfers…il réalisa à ce moment qu'il faisait de même de son coté. Mais que lui était-il passé par la tête ? Baal remarqua que Mammon luttait dans un conflit intérieur.
- "Je m'occuperais moi-même de ces traîtres quand ils mettront un pieds sur notre territoire, suivant ainsi les consignes de notre Maître. Je vous assure qu'ils souffriront mille douleurs et ne connaîtront jamais le repos de l'âme."
Baal jugea que cela suffisait comme avertissement.
- "Puis-je compter sur cette rallonge afin de sécuriser au mieux notre frontière. Je vous rappelle que si les anges venaient à passer, la facture n'en serait que plus salée."
Ce dernier argument convaincu Mammon. Il doutait comme il n'avait jamais douté. Il fallait qu'il trouve un moyen de se retirer de ce jeu dangereux sans y perdre trop de plumes.
- "Oui, ma Reine. Je vais étudier les budgets et tacherait de subvenir aux besoins que vous me décrivez."
Baal sourit.
- "Très bien, j'attends votre réponse avec impatience."
- "Je ferais au plus vite."
Après avoir suivit le protocole, Mammon se retira et rentra rapidement chez lui.

Mammon n'en revenait pas. Mais où était passé cet argent ! Cela faisait des siècles que ce budget n'avait pas été alloué et il n'en trouvait aucune trace. Cela faisait deux jours qu'il cherchait. Il avait promis à Baal de faire vite, elle allait croire qu'il se fichait d'elle. Quelqu'un se servait dans les caisses des Enfers, il en était certain et cela le mettait en colère. Il détestait les voleurs et il retrouvait toujours l'argent qu'on lui extorquait. Toujours. Il ne mit pas longtemps à trouver qui lui avait joué ce tour et il aurait pu s'en douter. Comment avait-il pu être si aveugle ! Il repartit, à grand pas, vers le domicile du coupable.

Belzebub n'avait pas aimé la violente irruption perpétrée, dans son petit habitat, par Mammon. Non, pas aimé du tout. Mais, il fut forcé de se radoucir quand ce dernier lui présenta une affaire qu'il ne pensait pas devoir défendre maintenant. Il n'eut aucun argument à opposer pour sa défense. Il fit appel au peu de diplomatie qu'il lui restait et une idée lui vint. Pourquoi ne pas dire qu'il avait été manipulé ? Non, ce serait un peu gros tout de même. Il fallait qu'il temporise la situation.
- "Du calme mon ami. N'oubliez pas que nous oeuvrons dans le même sens."
Belzebub se rendit vite compte qu'il venait de commettre un impair à l'expression qu'avait prit son interlocuteur. Mammon le fixa avec méprit et tourna les talons.
- "Préparez votre défense pour le prochain conseil."
- "Mais, n'y a t-il pas un moyen… "
Mammon était partit. Belzebub vit cela comme une sorte de trahison. Il lui fallait en parler avec Asmodée et obtenir son soutient pour démentir cela. Sur le chemin, Mammon pensa à la stupidité de Belzebub et s'en félicita car il pouvait ainsi se retirer sans perdre quoi que se soit. Son humeur devint plus joyeuse. Quelle bande d'imbéciles !

- "Vous vous êtes mis dans un sacré pétrin. Quelle idée de vous servir dans les caisses, voyons !"
Asmodée était exaspéré. Pourquoi avait-il choisit cette pair là ? Enfin, il fallait bien qu'il fasse avec. Non, à présent, il fallait qu'il sauve sa peau.
- "En tant que Juge, je pourrais vous soutenir si votre cas est défendable car nous ne pouvons nous permettre d'attirer l'attention sur nous, vous le comprendrez."
Belzebub le regarda, incrédule. Ils le laissaient tous tomber. Il se redressa et prit la parole.
- "Très bien, je vois que l'adage se vérifie, quand le bateau coule les rats quittent le navire ! Je vous préviens que je ne tomberais pas seul. N'oubliez pas que je suis aussi un Satan, pas un de ces démons de pacotilles ! Vous ne me manipulerez pas aussi impunément que vous le pensez, monsieur le JUGE."
Belzebub était très dur à suivre quand il parlait, d'autant plus quand il était en colère. Il émettait une sorte de bourdonnement qui devenait vite énervant. Toutefois, Asmodée comprit le sens de ce qu'exposait son interlocuteur et cela ne lui plut guère. La seule solution qu'il voyait, était de faire taire Mammon. Tout cela démontrait que son alliance ne tenait pas la distance. Il ne pouvait compter que sur lui-même et c'est ce qu'il allait faire.
- "Vos menaces sont veines car en me dénonçant, vous dénoncerez Mammon et vous-même ce qui serait un peu dommage, n'est-ce pas ? Disparaissez avant que je mette réellement en colère."
Il se sentait bien supérieur à cet avorton de Belzebub car après tout, c'est lui qui avait imaginé ce coup d'état ! Belzebub rongea son frein, se demandant s'il devait sauter sur Asmodée et le combattre physiquement ou rentrer gentiment en son domaine pour chercher une solution à son problème. Il opta pour la seconde solution. Elle se montrerait moins dangereuse à court terme et plus payante à long terme. Il salua avec obséquiosité Asmodée.

Quelques jours plus tard, Bélial fit son rapport à Baal. Elle était contente de leur petit jeu qui avait fonctionné plus qu'elle ne l'espérait. Belzebub avait rejeté la faute sur un de ses intendants, montrant que son train de vie ne correspondait pas du tout à ses revenus. Il s'en était sorti de justesse car Mammon l'avait attaqué sans relâche. La tension semblait palpable entre le trio de révolutionnaires. Tel un serpent se mordant la queue, chacun avait des raisons d'en vouloir à un autre. Pourquoi ? La peur les tenaillait mais aussi ce sentiment d'être mieux que les autres, d'être supérieur et de pouvoir passer au travers des mailles du filet. C'est ainsi qu'elle les avait piégé, devinant coup à coup, les réactions de chacun. Des millénaires d'espionnage et une bonne connaissance de la psyché lui avait permis de réussir. Ils seraient occupés pour un moment à se mettre des bâtons dans les roues et elle en serait, évidemment, la grande bénéficiaire. Elle s'en retourna chez elle, le sentiment du devoir accompli. Mais cela avait été trop simple et trop rapide à son goût. Elle se déshabilla et se démaquilla. Elle regarda avec envie son lit et se glissa dedans avec plaisir. Un frisson parcourut son échine. Elle soupira. Ils avaient tous péchés par vanité. Elle l'avait instillé subtilement dans leurs cœurs quand elle n'existait pas déjà. Tous se croyaient plus intelligents que les autres, plus puissants et s'enfermaient dans cette illusion. Quand le monde leur tombait sur les épaules, ils n'étaient pas préparés à cela. Il n'y avait rien à redire la-dessus, la vanité restait son péché préféré !

FIN

Auteur: Styx
E-mail: bruno.sorel@wanadoo.fr
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